PARTIES DE CAMPAGNELe premier jour de fête de l’art naïf remonte à 1892. On le doit au Douanier Rousseau. D’après La Fête et les Naïfs(éditions Max Fourny), il s’agit « d’une ouverture solennelle, où les danseurs en foule évoluent, d’une journée débordant de joie où les drapeaux flottent au vent. » Et de fait, la danse est légère, joyeuse, les couleurs sont éclatantes et la composition harmonieuse, dans ce tableau sobrement intitulé La Fête estivale. Si, par essence, la fête est subjective, spontanée et populaire, on comprend aisément l’attrait que lui porte ces peintres. Pourtant, depuis Le Douanier Rousseau, ces fêtes « factographiquement » fidèles à la réalité sont souvent peintes avec raideur. Pendant ces manifestations, il arrive que ces personnages ne soient pas exaltés, mais dignes, voire même parfois sérieux. Il y a dans certains tableaux naïfs une solennité de la fête presque cocasse. Dans la toile de Jean-Claude Sévère, par exemple, les mouvements semblent arrêtés, et les protagonistes, figés dans l’action. S’agit-il de maladresse de la part du peintre, ou d’une manière d’entretenir un certain mystère ? Quoi qu’il en soit, le peintre s’émancipe par ce biais de l’académisme. Et que dire de Jacqueline Benoît, sinon qu’elle radicalise cette dimension mystique du moment de repos à la campagne ? Malgré les fleurs, les enfants et les barques sur l’eau, le tableau est pure poésie, mythe, voire un rêve, qui n’est pas sans rappeler ces mots de Wilhelm Uhde à propos de Rousseau face à la nature, qui avait « sollicité chez lui son sentiment religieux et son imagination » et que d’elle venait « la note mystique de ses tableaux. » En peignant des Vénus pétrifiées dans un paysage vert glacé, Benoît prouve que la profondeur mystérieuse des Naïfs va parfois à l’encontre de la joyeuse légèreté qu’on leur attribue ordinairement. A la campagne, le thème des festivités induit aussi souvent une présentation du paysage comme une fête se succédant à elle-même à chaque nouvelle saison. « C’est la fête des arbres, des fleurs, des nuages, des feuilles, des oiseaux, des collines et des prés. » (d’après La fête et les Naïfs, ouvrage édité par Max Fourny) "Haïtiens aux champs" Dolcime. M |
L'ÉGLISE AU CENTRE DU VILLAGEDans les tableaux naïfs représentant des villages, l’église a presque toujours sa place. Elle est le lieu du rassemblement religieux, certes, mais aussi le repère créant un sentiment de familiarité, la trace de la construction de l’homme dans ces paysages verdoyants. Bien sûr, sa présence participe de cette dimension « autre », métaphysique car religieuse, que cherchent bon nombre de peintres naïfs. Ces derniers donnent une appréhension originale, inventive et poétique du monument. Les toiles regorgent de moments de festivités en lien à la religion. De toutes ces fêtes, c’est Noël qui est la plus représentée. Avec, bien sûr, toutes les coutumes populaires auxquelles renvoie la tradition. « Noël, c’est la crèche de Bethléem, la marche dans la neige vers la messe de minuit, la nef de l’église qui croule de lumière… » (La fête et les Naïfs, éditions Max Fourny). Dans cette section, c’est Ivka Matina, artiste ayant vécu à Zagreb et très inspirée par les scènes populaires de son pays, qui incarne le thème. Autre thème universel, la majeure partie des naïfs ce sont, à un moment, essayé à représenter la scène du mariage. Dans cette exposition, le cortège solennel et sa jeune mariée dans la richesse de son blanc illustre bien ici la diversité des techniques employées dans cet art libre et hors-normes. Quant aux soirées de ripaille, elles se déroulent, là encore, non loin du monument. Au sein de la peinture naïve haïtienne du XXème siècle, l’expression plastique d’inspiration chrétienne joue également un rôle majeur. |
"Les trois arbres" Dragan MIHAILOVIC |
CITÉS MERVEILLEUSESDepuis l’appréhension originale du milieu urbain, il n’y a qu’un pas à faire pour tomber dans le merveilleux. Dans cette section, l’habitat trône sur un nuage (Henri Bruel), des anges flottent sur les villes (Patricia Barton, Suzanne Boland Van De Weghe) et les architectures deviennent tout à fait fantastiques (Isabelle Planté). Quoi de mieux que le thème de la cité merveilleuse pour affronter l’invraisemblable, défier candidement la logique et laisser libre court au goût pour la fabulation en donnant corps à des contes entrainant ces créateurs jusqu’aux rivages délirants du fantastique ? L’imaginaire de ces artistes les rapproche des surréalistes, sinon par l’intention, du moins par les formes et situations extravagantes peuplant leurs toiles. Certaines ont aussi une dimension symboliste, comme celle de Patricia Barton, où le corps flottant dans les airs apparaît comme le symbole d’aspirations idéalisantes. D’après l’ouvrage Critériologie de l’art naïf édité par Max Fourny, « L’idéalisation peut également renvoyer à des tendances inconscientes profondes. Ainsi, les fillettes de Boland van de Weghe sortant d’un moule délicieusement désuet ne sont-elles pas révélatrices d’une fixation psychique à l’adolescence de la part de l’artiste ? Remarquons-le, les adultes – plutôt rares – empruntent également l’allure d’êtres intemporels (anges, personnages éthérés, etc.) Et le temps semble vouloir s’arrêter pour mieux atteindre le souvenir… Quelle obsession secrète motive cet air absent, ces gestes suspendus et ces regards pensifs ? Enfin, si la frontière est poreuse entre naïf et surréalisme, naïf et symbolisme, ainsi, d’ailleurs, qu’entre naïf et brut, il faut aussi rappeler que si les artistes de cette veine sont des autodidactes, ils ne sont pas pour autant dénués de références artistiques. Ici, Danièle Petit est imprégnée des enluminures du Moyen-Age. Quant à Henri Bruel, son tableau apparaît comme un clin d’œil contemporain à la Tour de Babel du célèbre Pieter Brueghel l’Ancien, cette peinture faisant référence à l’échec de la rationalité face au divin.. "J'irais au paradis avec les chiens" Danièle PETIT |
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